Sur les traces de Chantal Akerman…

Crédits – Chantal Akerman, de cá, Universo Produção

La rétrospective proposée par LaCinetek du 25 janvier au 15 mars mettant à l’honneur la réalisatrice Chantal Akerman est la parfaite occasion pour (re) découvrir une partie de son œuvre. Adulé par les uns, jugé trop lent voire ennuyant par les autres, le cinéma d’Akerman ne laisse personne de marbre. Retour sur le parcours d’une cinéaste qui a bouleversé les codes.

Portrait d’une cinéaste avant-gardiste

 

Dans la période post-mai 1968, le cinéma est marqué par de profonds renouveaux et connaît une féminisation. Si les femmes n’étaient pas absentes auparavant, c’est à ce moment-là qu’elles parviennent véritablement à se saisir de la caméra. Parmi elles, Agnès Varda, Nelly Kaplan ou bien encore Marguerite Duras. Dans leur lignée, Chantal Akerman, cinéaste belge. Elle est l’une des réalisatrices qui va le plus marquer les décennies suivantes.

Elle réalise son premier film en 1968 à l’âge de 18 ans : Saute ma ville. Dans ce court-métrage de 13 minutes, tourné en format 35mm, elle se met en scène dans la cuisine familiale. Oscillant entre burlesque et tragique, abordant le suicide d’une jeune fille, Saute ma ville frappe par sa radicalité.  Il préfigure aussi d’ores et déjà son envie de s’affranchir des formes traditionnelles du cinéma. Ce qui est confirmé par son très bref passage par l’école de cinéma bruxelloise INSAS, dont elle claque la porte, car elle estime que la technique n’est pas primordiale.

Parmi les influences qu’elle cite le plus souvent, le très célèbre Pierrot le fou (1965) de Jean-Luc Godard, qui a marqué des générations de cinéastes par sa liberté narrative. Elle s’inspire aussi du cinéma expérimental américain qu’elle découvre à l’occasion d’un séjour à New-York aux débuts des années 1970. Ses influences sont aussi personnelles. Un grand nombre de ses films renvoient aux rapports mère-fille, à la question féminine ou encore à sa relation au judaïsme.

Réalisatrice avant tout, elle se met en scène dans un grand nombre de ses films, montrant leur part autobiographique. Elle apparaît face caméra dans plusieurs de ses longs-métrages. Elle tient le rôle principal dans L’Enfant aimé ou Je joue à être une femme mariée (1971), La Chambre (1972) et Je, tu, il, elle (1974). C’est aussi elle qui fait la voix-off de ses documentaires.

 

Une œuvre singulière

 

Si elle réalise plusieurs courts et longs-métrages depuis 1968, c’est l’année 1976 qui marque un vrai tournant dans sa carrière. 1976 ou le moment où Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles, sort en salles. 3h20. C’est la durée de ce film relatant trois jours de la vie d’une jeune veuve, mère au foyer, dont le quotidien est parfaitement rythmé. La puissance de ce film réside bien sûr dans l’interprétation de Delphine Seyrig mais aussi dans son esthétique. Ce long-métrage, marqué par ses longs plans fixes, sa lumière et sa quasi absence de dialogue est filmé en temps réel. Il fait date car grâce à ces choix de mise en scène, la réalisatrice parvient à faire de la banalité un récit passionnant. A seulement 25 ans, Akerman est reconnue à l’international et parvient à s’imposer dans l’industrie cinématographique. Il reste aujourd’hui son film culte.

Dans les années 1970-1980, Chantal Akerman poursuit son aventure cinématographique. Et ce, avec une sorte de frénésie créative. En deux décennies, elle réalise plus d’une vingtaine de films. Elle n’hésite pas à naviguer entre les genres. A travers son œuvre, elle explore la fiction, le documentaire, l’adaptation littéraire ou même la comédie musicale. Ses films sont aussi très largement autobiographiques. On peut notamment le voir dans Les Rendez-vous d’Anna (1978) suivant les déambulations d’une jeune réalisatrice en Europe. La diversité de son œuvre se voit aussi à travers les thèmes qu’elle aborde. Tour à tour, elle explore l’exil, l’enfermement, l’homosexualité, la figure maternelle ou bien l’altérité.

Parmi ses thèmes de prédilection, il est impossible d’oublier la question féminine. Les portraits de femmes sont au cœur de ses films et permettent d’interroger leur quotidien, leurs rapports aux hommes et le désir au féminin. De la banalité du quotidien des femmes qu’elle a mis en scène à diverses reprises, elle dit dans une interview accordée au distributeur américain Criterion en 2009 : “J’ai fait ces films pour donner une existence cinématographique à ces gestes” (voir vidéo YouTube), propos illustrant sa volonté de poser un nouveau regard sur les femmes et leur quotidien. Ce nouveau regard se voit aussi à travers la question du désir féminin. De Je, tu, il, elle à La Captive en passant par Jeanne Dielman, elle n’hésite pas à mettre en scène le lesbianisme ou la prostitution. Devenant la première cinéaste à véritablement assumer le fait de filmer la sexualité féminine. Toujours avec subtilité. Si certains en font une des premières à porter le féminisme au cinéma, elle réfute cette idée. Cependant, il est incontestable que ses films ont participé à l’introduction du regard féminin sur nos écrans.

Crédits – Chantal Akerman, MANYBITS

Profondément influencée par le cinéma expérimental, elle repousse encore un peu les frontières dans les années 1990. C’est à partir de là qu’elle commence ses projets d’installations filmiques dans diverses galeries d’art. Installations à travers lesquelles, elle offre une expérience immersive au public. On peut le voir dans l’installation Now présentée en 2015 à la Biennale de Venise. Sur cinq écrans, défilent des images de paysages désertiques filmées en travelling. Devant ces images qui se répètent sans cesse, la réalisatrice cherche à créer une expérience déroutante auprès du public. D’autant plus qu’il est possible de se déplacer entre les écrans et que le son qui y est associé est fait de bruits presque assourdissants mêlant explosions, moteurs, tirs, etc. Comme dans ses films, Chantal Akerman se distingue par son intensité et sa volonté de placer le spectateur au cœur de l’œuvre.

 

Un héritage conséquent

 

En bouleversant les codes traditionnels de la narration et des images, Chantal Akerman a fait évoluer les formes cinématographiques. Ce qui en fait l’une des pionnières du cinéma moderne selon certains. Aujourd’hui, elle est reconnue mondialement et continue d’influencer des générations de cinéastes par ses films mais aussi par ses nombreuses installations artistiques. Des réalisateurs comme Claire Denis, Gus Van Sant ou Todd Haynes disent avoir été influencés par sa manière de concevoir la narration au cinéma et de filmer les femmes.

Si, comme une grande partie des femmes cinéastes, son œuvre a été invisibilisée et qu’il est quasiment impossible de trouver ses films sur internet ou en DVD, elle fait l’objet d’un regain d’intérêt. La rétrospective proposée par LaCinetek est une formidable occasion de (re) découvrir l’œuvre de celle qui a su poser un nouveau regard sur les femmes et proposer de nouvelles manières de concevoir le cinéma.

 

Pour aller plus loin…

 

Mathilde Porcheron


Sources :

Chantal Akerman, la cinéaste de l’attention, mise à l’honneur par La Cinetek, Les Inrockuptibles

Jeanne Dielman, 23 rue du commerce, 1080 Bruxelles, Les Inrockuptibles

Les images et les mots de Chantal Akerman, France Culture

Chantal Akerman, Wikipedia

Chantal Akerman, cinéaste féministe adulée par Gus Van Sant et Todd Haynes, Numéro

Gus van Sant sur Chantal Akerman : «Une influence plus qu’essentielle» – Culture / Next, Libération

Le regard féminin, Iris Brey, 2020

Chantal Akerman on JEANNE DIELMAN, YouTube

Femmes cinéastes en France : l’après-mai 68, openedition

Revoir « Saute ma ville », premier film de Chantal Akerman, France Culture

Chantal Akerman: la mort avait toujours été là, slate

“Now”, le présent éternel de Chantal Akerman, Télérama

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